Quand un notaire de province des années 50 se travestit en secret avec des ami(e)s, cela donne “Les Nuits d’été”. Rencontre avec Mario Fanfani, le réalisateur d’un film qui pose la question de l’identité tout en rendant hommage à toutes les femmes…
Il y a fort à parier que vous ne l’aviez jamais vu sous ce jour-là. Dans Les Nuits d’été, en salles cette semaine, Guillaume De Tonquédec incarne Michel, un notaire heureux en ménage qui exerce à Metz à la fin des années 50. Un homme on ne peut plus respectable qui, pourtant, cache un secret inavouable. Le week-end, Michel se travestit et devient Mylène. Une facette mystérieuse dont il a besoin mais qu’il tente d’étouffer. Une facette que l’un de ses amis – puis plusieurs autres – l’aide à explorer.
Identité sexuelle, identité tout court, convenances, transgression, liberté… Rencontre avec le réalisateur Mario Fanfani afin d’évoquer ce film qui rend un très bel hommage aux femmes, quelles qu’elles soient.
Allociné : Vous avez trouvé votre source d’inspiration dans “Casa Susanna”, un livre de photographies. Dites-nous en plus…
Mario Fanfani : Ces photos ont été retrouvées il y a 10 ans par deux artistes new-yorkais. Ils les auraient trouvées dans un carton au marché aux puces, puis les ont éditées et exposées. On y voit des hommes travestis dans les années 50, qui font des choses très anodines habillés en dames dans une maison de campagne. Ils jouent au scrabble, jardinent, prennent le thé… Ce qui est singulier dans ces photos, ce sont les modèles féminins que ces hommes représentent. La femme au foyer, la parfaite ménagère des années 50, possiblement leurs femmes s’ils étaient mariés, ce qui était probable. Ce sont des photos internes à cette petite communauté et elles sont très fortes dans ce qu’elles représentent de l’époque et des Etats-Unis. [Le livre est disponible ici à l’achat]
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On connait peu de choses sur ces gens, donc ces photos sont ouvertes à toutes les projections fantasmatiques que l’on veut. C’est une matrice intéressante pour faire un film, le début de quelque chose pour s’interroger sur cette question des identités de genre qui est au cœur du débat public depuis quelques années et qui l’est beaucoup plus aux Etats-Unis avec la philosophe Judith Butler. Cette dernière considère que notre identité sexuelle est le fruit d’une construction sociologique et pas seulement biologique, que la biologie n’est pas si importante que ça pour être un homme ou être une femme. Ça ouvre des tas de questions vertigineuses jusqu’à la question des programmes scolaires et cette fameuse théorie du genre qui a l’air d’effrayer beaucoup de gens…
Pour l’un des personnages, se travestir est un geste politique”
Finalement, il semblerait qu’aujourd’hui, nous n’ayons pas vraiment dépassé ces modèles “femmes au foyer” / “femmes fatales”…
Effectivement, je pense que les projections masculines sur les femmes sont assez binaires. De toute façon, un fantasme, c’est construit mais jamais très original. Ce qui m’intéressait dans le film, c’est qu’il y ait plusieurs types. Le personnage principal est à la recherche – peut-être – d’une femme idéale qui est une projection sur sa propre femme. Il cherche une définition de la femme avec son camarade Jean-Marie (Nicolas Bouchaud) qui joue presque un rôle de psychanalyste.
Et à côté de cela, il y a des artistes qui, eux, pensent que l’on peut atteindre une vérité dans le jeu. Eux, s’amusent beaucoup plus. Ils sont beaucoup plus libres. Jean-Marie, lui, est plutôt du côté de la politique. Il considère que se travestir – surtout à l’époque – est un geste esthétique, puisqu’il est tailleur, et politique, dans le sens où un geste artistique va forcément interroger la société dans ce qu’elle a de plus contradictoire.
Il n’y a pas vraiment de réponses et, finalement, on n’a pas besoin d’en avoir une, mais à votre avis pourquoi Michel se travestit-il ?
Il est vrai que ça m’intéressait plus de comprendre comment ça se passait plutôt que pourquoi. Je ne voulais pas tomber dans une psychologie psychologisante pour finir par dire : “voilà”. Mais, il y a quelques traces de trauma, le poids de son père que l’on peut deviner, on sent qu’il y a une tradition familiale, une lourdeur, et puis il y a la seconde Guerre Mondiale. On pressent qu’il l’a faite avec Jean-Marie et que ça a été quelque chose d’assez traumatique.
Il y a comme une soupape de sécurité pour lui de faire ça, c’est comme un lieu où il se sent protégé et où il n’a pas besoin de prouver quoi que ce soit. Après, je préférerais qu’on puisse l’observer plus dans ses contradictions. Je sais que ça manque à certaines personnes, ça manquait aussi même à certains au scénario quand on a présenté le film pour financement mais, j’y tenais beaucoup.
Il est homme et femme”
Ce qui est très réussi dans le film, c’est que, dès qu’on découvre Mylène, Michel disparaît derrière elle, comme si une autre personne vivait à l’intérieur de lui.
On a tous des clivages, on n’est pas uniques, on est multiples. On a plusieurs façons d’être, plus ou moins réconciliées. Et on peut être homme ET femme. Il est homme ou femme. Puis, peut-être qu’il deviendra homme et femme…
Mais c’est vrai que ces contradictions intérieures, cette dualité qui, finalement, dépasse l’identité sexuelle et est universelle, sont vraiment explorées dans le film.
C’est vrai. Il y a beaucoup de scènes de théâtre : des scènes de cabaret, des scènes reconstituées, des scènes de discours… Du coup, il y a beaucoup de masques et de costumes. Comme un comédien qui endosse un costume est capable, derrière un rôle qui n’est pas le sien, d’atteindre une vérité. C’est un hommage aux comédiens d’une certaine façon aussi. Avec le jeu des masques, on peut, peut-être, être plus soi-même que quand on est à nu ou dans une identité plus quotidienne. Plus on joue avec ces identités, plus on les assume, plus on peut être soi-même d’une certaine façon.
“Les nuits d’été” est un hommage aux comédiens mais surtout et, clairement, un hommage aux femmes, à toutes les femmes…
Complètement. Hélène (Jeanne Balibar) est une femme qui, elle aussi, est à l’étroit dans son costume. C’est pour ça qu’elle en change. Tout le monde joue avec les identités de costumes. A l’époque, le féminisme commence à se forger des armes, avec Simone de Beauvoir justement, mais c’est plus du côté d’une bourgeoisie intellectuelle très parisienne, eux ils sont loin de tout ça. Elle, elle est juste la femme du notaire d’une ville de province et, sans le savoir, elle pressent que le monde bouge autour d’elle, que le monde est plus complexe que ce qu’il en a l’air, que ce qu’on veut bien lui dire. Ce que lui ne voit pas du tout. Elle le pressent en regardant des jeunes dans un café et en fréquentant cette femme qui est, elle aussi, un peu à l’écart de la société parce qu’elle est étrangère, plus libre…
Le film tend à dire que les femmes sont plus en avance que les hommes”
Jeanne Balibar a un physique particulier. C’est une très belle femme qui dégage quelque chose de puissant, elle possède cette étrange puissance masculine dans le visage. Ce qui fait qu’Hélène aussi peut dans le film exprimer sa part masculine…
Absolument. Jeanne est très androgyne. Elle a une sorte de poésie intemporelle, d’autorité, elle peut être très cassante. Elle a cette silhouette des années 40-50 qui convient très bien aux costumes de l’époque. Et puis, elle a cette modernité en même temps. Ça vient de son jeu mais aussi de ce qu’on s’est autorisé d’anachronismes, même dans son discours. Jamais on n’aurait parlé de la guerre, surtout pas ce personnage-là. On a projeté le personnage dans le futur pour lui apporter plus de force. Le film tend à dire quand même que les femmes sont plus en avance que les hommes sur beaucoup de choses.
Cette notion d’être femme, et sa signification, se joue aussi dans la scène où elles lisent leur charte “Etre femme, c’est…” devant la maison de campagne.
Cette charte n’est pas très sérieuse mais on y a glissé quelques articles un peu parlants. C’est une scène de comédie, de comédie sérieuse. Et elle se finit par Jean-Marie qui ajoute un dernier article qui est la fameuse phrase de Beauvoir : “On ne naît pas femme, on le devient“… Y’a tout à faire quoi (rires). Et ça vaut pour les hommes habillés en femmes autant que pour les femmes.
On est femme par choix, par décret, par plaisir”
Est-ce que vous avez été étonné par vos acteurs et est-ce qu’eux-mêmes ont été étonnés par ce qu’ils arrivaient à dégager ?
Complètement. Ça s’est fait par approches successives. Anaïs Romand, qui a fait les costumes, avait constitué un énorme stock. Ils ont apporté chacun leur désir d’être comme ci ou comme ça. Anaïs a adapté mais il n’y avait pas un costume prévu pour tel ou tel comédien, ça s’est fabriqué petit à petit. Et puis s’il y avait des éléments qui manquaient, elle en cherchait d’autres ou en faisait fabriquer. On l’a fait tous ensemble. Et puis après, il y a eu l’étape de la perruque et du maquillage. Une question qui était importante, d’une part à cause du support numérique, il fallait un petit peu doser. Et la perruque raconte des choses différentes. C’est par ces approches différentes que les corps et les silhouettes se sont constitués.
Après, chacun n’a pas réagi de la même façon. Guillaume De Tonquédec a travaillé très en amont. Anaïs lui a proposé de changer sa silhouette, donc il a porté un corset pour se resserrer la taille pendant un mois. Clément Sibony est rentré très vite dans cette silhouette-là. On a fait une identité très intime, très personnelle, en essayant de fabriquer ce personnage un peu vachard, un peu méchant, très ostentatoire.
Cela a permis aux acteurs d’explorer”
Chacun est venu avec sa personnalité, chacun a eu ses difficultés mais il y a eu une espèce de solidarité qui s’est créée, ils se sont serrés les coudes. Et puis, il y avait un texte, une structure très importante. Il y a peu de choses qui sont improvisées. Le costume, les talons, les bas, les corsets, les sous-vêtements, les faux seins… C’est très contraignant, ça donne l’impression d’être dans un carcan. Et être dans un carcan, finalement, ça pose des limites et, du coup, ça permet plus de liberté.
Est-ce qu’à la fin du tournage, ils vous ont dit que ça les avait fait avancer, qu’ils avaient découvert des facettes d’eux-mêmes qu’ils ne connaissaient pas ?
Ils le disaient tout le temps (rires). Clément parle d’ailleurs de la difficulté d’être une actrice. Ils avaient conscience qu’il faut prendre beaucoup plus de soin à tout quand on est une femme que lorsqu’on est un homme. On pardonne beaucoup moins de choses aux femmes et notamment aux actrices – notamment leur âge – qu’aux acteurs. Et d’un seul coup, ils se retrouvaient à faire attention aux moindres détails, auxquels ils n’étaient pas du tout attentifs quand ils sont des acteurs qui jouent des hommes. Et puis, en même temps, cela leur a permis en tant qu’acteurs d’explorer, d’oser faire des choses qu’ils ne font pas dans d’autres rôles.
C’est vrai qu’on les distingue tous les uns des autres…
Je voulais que le groupe soit très disparate. C’est pour ça que ce sont des acteurs qui viennent d’univers et de corps très différents. Serge Bagdassarian, qui est de la Comédie Française, a ce corps extrêmement imposant et très généreux. Clément est un beau mec de 35 ans qui est entré dans ce monde-là. Yannick Choirat est, lui aussi, très masculin et il joue d’une façon tellement simple et naïve. En fait, il y a une tradition de carnavals dans l’Est, complètement inscrite dans la société, où les hommes s’habillent en femmes une fois par an. C’est pour ça que son personnage a l’accent, on a voulu l’inscrire plus de ce côté-là. Il est marié, parle tout le temps de sa femme, il ne fallait pas qu’il y ait de problème pour lui. Et puis, il y a Jean-Benoît Mollet qui joue Callipyge avec ses longs cheveux et qui se prend pour Brigitte Bardot plus d’une fois. Il vient du cirque. Il était très à l’aise tout de suite.
Est-ce que vous pensez que ça va étonner une certaine franche de spectateurs que Michel ne soit pas homosexuel ?
Oui. Ca pose beaucoup de questions à tout le monde. S’il avait été homosexuel, je n’aurai pas du tout raconté la même histoire. J’ai tenu à ce qu’il soit hétérosexuel pour aller au-delà du cliché du travestissement. Il y a plein de travestis qui sont homosexuels, évidemment. Mais il y en a qui ne le sont pas. Quand les Drag Queens sont arrivées dans les années 90, il y avait plein de garçons complètement hétéros qui y ont cédés. C’est différent parce qu’on fabriquait plus un personnage qu’on ne voulait ressembler à une femme. Mais, néanmoins il y avait maquillage, perruques, etc. Et il y avait ce film qui a autorisé tout ça, Priscilla folle du désert, qui ouvrait tellement de possibilités, de sensualité, de comique, d’émotions. Ca m’intéressait que le personnage soit hétérosexuel, justement.
Surtout que dans cette question du travestissement, il y a énormément de terrains à explorer. On a vu ces derniers temps, avec des films différents comme “Une Nouvelle amie” ou “Les Garçons et Guillaume à table”, que cela s’inscrivait toujours dans une mouvance mais ça date depuis toujours.
Depuis l’Antiquité, ça s’est sûr, depuis le théâtre de Shakespeare, de Marivaux, de Beaumarchais, depuis le cinéma. Il y a toute une histoire du travestissement au cinéma, La Grande Illusion, Tootsie, Certains l’aiment chaud qui sont clairement des personnages hétéros. Je ne sais pas si vous souvenez du dernier plan de Certains l’aiment chaud, lorsque Tony Curtis enlève sa perruque devant ce personnage qui est amoureux de lui, en femme, et qu’il lui dit qu’il est un homme. Et ce dernier lui répond : “Personne n’est parfait“. C’est très comique et en même temps très profond. Car ce personnage qui tombe amoureux de la femme que fait Tony Curtis s’en fiche que ce soit un homme ou une femme finalement. C’est un être dont il est tombé amoureux.
Ce sont ces gens repoussés à la marge qui nous intéressent”
Souvent, on oublie que ces questions ne sont pas nouvelles et certains pensent même que c’est la société qui les créent. C’est nécessaire que le cinéma rappelle d’où ça vient, que ce n’est pas nouveau ni dangereux…
Mais bien sûr, effectivement. La société pour pouvoir, se dit-elle, avancer a toujours mis à la marge les fous, les gays, les personnes qui sont dans une zone intermédiaire. Michel Foucault avec son histoire de la folie montre comment la société a avancé en écartant ce qui pouvait devenir des zones incontrôlables. Il faut contrôler pour que les choses soient plus ou moins en ordre. Ce sont ces gens repoussés à la marge qui nous intéressent et, aujourd’hui, effectivement, avec Judith Butler et une autre femme formidable qui s’appelle Béatrice Preciado, qui est philosophe, qui écrit des livres très sérieux et qui se balade avec une moustache, il n’y a pas que les hommes (rires).
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Les Nuits d'été Bande-annonce VF
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