Dans le livre Bernadette et Jacques, aux éditions Stock, à paraître en poche (Points Documents) en février, notre collaboratrice Candice Nedelec nous fait revivre, témoignages inédits à l’appui, cette histoire d’amour hors norme. Drôle, tendre et émouvant, il est le premier à se pencher vraiment sur le duo. Il démontre, avec de nombreuses anecdotes inédites, la manière dont se sont installés, puis inversés les rapports de force entre ces deux puissantes personnalités.
Un couple en gestation
(…) A Sciences-Po, dix ans après la guerre, la jeune femme savoure sa liberté nouvelle. Elle se laisse griser par les emballements de celui qui lui mène, à coups d’assauts têtus, une cour assidue. S’acoquine avec lui autour d’une menthe à l’eau, chez Basile, un troquet de coin de rue prisé par les étudiants. (…) Il la cerne de ses ardeurs, glisse dans son sac d’étudiante, avec des airs de conspirateur, des petits mots tendres, taillés comme autant de flèches acérées. (…) Il conservera au fil des années sa manie des billets glissés à la dérobade, comme autant de petites amarres dont il aurait besoin.
(…) Le 16 mars 1956, les deux jeunes gens s’unissent pour le meilleur et sans soupir, en l’église Sainte-Clotilde. Jacques porte fièrement son uniforme de sous-lieutenant de cavalerie. Bernadette exulte et triomphe. Un sourire, immense, éclaire son visage voilé de tulle. Son regard, à l’éclat insolent, prend ce quartier paisible de Paris à témoin : « Regardez-le bien. Il est à moi. » La joie sera de courte durée. Dès le lendemain de leur mariage, alors que Bernadette reproche à Jacques d’avoir joué les jolis cœurs avec l’une des convives, il la soufflette d’une phrase acérée : « Si vous n’êtes pas contente, demandez le divorce ! » Une menace guillotine qui reviendra régulièrement dans les escarmouches entre les deux époux. Quand son agacement ou sa passion pour une autre sera sur le point de tout emporter, Jacques pointera du doigt cette possible condamnation à mort de leur couple. Comme elle, lorsque la douleur l’envahira, lorsqu’elle sera reléguée au second plan et sentimentalement trahie. Pour l’heure, en ces premiers pas de deux, la querelle d’amoureux s’estompe. (…)
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S’il trace seul sa trajectoire, libido et appétit de pouvoir pour seuls guides, Jacques Chirac n’en couvre pas moins Bernadette, comme sa famille, de délicates attentions, mâtinées de réelle tendresse. Il ne l’appelle pas « Ma chérie » ni « Mon cœur », petits noms réservés à ses conquêtes éclairs, mais son vouvoiement est un gage d’affection et de respect. Le ministre surmené est capable de remuer ciel et terre pour trouver à son épouse une couverture chauffante lorsqu’ils sont en voyage, dans un pays au climat un peu trop rude. Lorsqu’il n’est pas en terres corréziennes, il déjeune chaque dimanche avec femme et… beaux-parents. L’occasion de régaler les Courcel des grands crus offerts par les producteurs au temps où il régnait sur le ministère de l’Agriculture. Comme il aura le tact, lorsqu’il fera de grands déplacements à l’étranger en qualité de Premier ministre, de demander à sa belle-mère de faire partie de la délégation. Ses jeunes conseillers auront alors pour consigne de prendre le plus grand soin d’elle. (…)
Un homme et des femmes
1974: Jacques Chirac devient Premier ministre (ndlr).
(…) Bernadette s’inquiète. Elle juge le Premier ministre absent, distrait depuis quelques semaines. Ailleurs. Lorsqu’elle l’interroge ou s’agace de son manque d’attention, il lui lâche un brutal : « Vous m’emmerdez ! J’ai mal à la tête. » En fait, malgré ses lourdes responsabilités et la terrible concentration qu’elles exigent, l’homme virevolte, s’égaye, comme toujours. Il n’hésite pas à se joindre à la jeunesse de son parti dans les caves de Saint-Germain pour partager quelques bribes de fête et écorner son agenda. Bernadette Chirac s’inquiète pourtant plus que d’habitude. (…)
Jacques Chirac s’embrase, prend des risques pour la journaliste (Jacqueline Chabridon, NDLR), s’installe dans un univers parallèle. Il est capable d’écrire sur un coup de tête une déclaration d’amour sur un coin de serviette, au vu et au su de tous. (…)
Bernadette brandit alors la menace ultime, celle du divorce. C’en est trop. Malgré sa foi taillée dans la pierre des cathédrales, sa volonté atavique de préserver la famille, son appétit de vivre une existence hors norme dans le sillage de son mari, l’épouse bafouée n’a plus ni la force ni le goût de subir cette énième avanie. (…)
Lorsque, quelques années plus tard, Alain Juppé lui annoncera son propre divorce, l’un de ses collaborateurs retrouvera le maire de Paris, dans son grand bureau de l’Hôtel de Ville, la tête dans les mains, livide. « Il est fou ! », lâchera-t-il, alors, à propos du « meilleur d’entre nous », qui aura fait ce que lui n’aura jamais osé faire. (…)
Vigilante, elle tente parfois de le prendre sur le fait, lassée de devoir fermer les yeux. Un jour, elle engage la poursuite, dans les rues de Paris, d’une voiture immatriculée 19 (le numéro de la Corrèze), qu’elle suspecte d’être requise pour récupérer son mari après un rendez-vous galant. L’épouse méfiante a vu juste, puisque le véhicule est conduit par leur chauffeur, Jean-Claude Laumond. « Où est- il ?, peste-t-elle. Je vais l’attendre. » (…)
Le couple entreprend alors de grands voyages, autant de moments de retrouvailles privilégiées. Les quelques jours de septembre 1978, passés en Chine, restent comme l’un de leurs meilleurs souvenirs. Konica en main, Jacques Chirac a consacré de longs moments à photographier son épouse sur la Grande Muraille. Une parenthèse où la complicité l’emporte. Où le couple se laisse aller à quelques heures de détente. Ils déambulent main dans la main dans les rues de Pékin, choisissent du tissu pour faire tailler des costumes à monsieur, s’astreignent à l’apprentissage du maniement des baguettes, en compagnie du maire de la mégapole. Sur les images prises lors de ce déplacement officiel du maire de Paris par le photographe Christian Vioujard, les Chirac ressemblent à de jeunes mariés. (…)
Qu’importe ses manquements conjugaux, le président jure que l’essentiel réside dans la tendresse et le respect qu’il porte à son épouse et qui ne se sont pas démentis au fil des années. Ainsi lui envoie-t-il des fleurs, le jour de la fête des Mères, au nom de sa fille cadette, lorsqu’il sait que cette dernière oubliera ce devoir filial. La Première dame n’est pas dupe. Elle voit bien que la carte qui accompagne le bouquet n’a pas été écrite de la main de Claude. Mais elle apprécie le geste de son époux. (…)
Bernadette mène la danse
A l’Elysée
Bernadette est, elle, reléguée à la sphère intime et ne dispose que de la parenthèse du dîner pour profiter de son époux. Président ou pas, l’homme n’a pas changé ses habitudes, il n’est pas du soir et trépigne dès que 20 heures approche et que la première dame ne rejoint pas la table de la salle à manger. « Que fait-elle ? », demande-t-il, affamé, au maître d’hôtel, le pied battant le sol en cadence. Quand elle le retrouve enfin, sa femme a généralement droit à un repas au son des informations, suivi du visionnage d’une cassette sur le raku, cet art potier japonais, quand le chef de l’État ne lui inflige pas un western, un film de cape et d’épée ou un combat de sumo. (…) Le couple passe donc de longues soirées devant ces combattants nippons. Mais l’essentiel aux yeux de la Première dame est que son époux insiste pour qu’elle soit à ses côtés dans ces moments-là. Leur complicité se nourrit de ces apartés. (…)
L’après-Elysée
Loin des joutes politiques désormais, le président s’étiole dans cet appartement sans âme, où trois salles de réception immenses, qui paraissent presque vides, se présentent en enfilade face à la Seine. Comme pour se raccrocher à un passé qui s’estompe, il répète à l’envi ces expressions imagées qui ont toujours été sa marque de fabrique dans l’intimité. Au moment d’aller au lit, il lance à la cantonade : « Allez, je vais me coucher bouboule panier. » À chacun de ses visiteurs qui lui trouve une mine radieuse, dans ses bureaux de la rue de Lille où il se concentre sur la création de sa fondation, il répond immanquablement : « La mine ça va, c’est le crayon qui ne marche plus. » Lorsqu’il arrive à joindre Bernadette, il radote toujours la même pique : « Qu’est-ce que vous faites ? » avant d’ajouter, taquin : « Rien, comme d’habitude. » (…) À chaque élu de la capitale qui lui rend visite, l’ex-chef de l’État fait part de la grande impression que lui a faite Anne Hidalgo. L’édile parisienne lui a rendu une visite de courtoisie au lendemain de son élection. Un geste qu’il a apprécié autant que la fière allure de cette Andalouse aux yeux de velours. « Il me parle d’elle à chacun de mes passages rue de Lille », s’amuse un élu du conseil de Paris. La précédente élue parisienne à avoir séduit l’ancien maire de la capitale était Rachida Dati. Il ne tarissait pas d’éloges à son égard, « à tel point que son épouse lui a plusieurs fois lancé : “Jacques, vous ne seriez pas, par hasard, le père de sa fille ?” » raconte un intime. Impossible de relever les draps sur une vie de joli cœur (…)
Le regard ailleurs, il s’extrait du jeu lorsque cela l’arrange. Respectant à la lettre l’un de ses adages fétiches : « Ça m’en touche l’une sans faire bouger l’autre » ! Une attitude qui agace son épouse autant qu’elle la désarçonne. Cette absence de résistance a de quoi la dérouter. Son couple s’est construit sur un rapport de force. En sa défaveur, d’abord, ce bras de fer constant a fini par tourner à son avantage, mais le combat a cessé faute de combattant. (…)
Elle se sent encore prête à mordre à pleines dents dans l’existence. L’urgence du quotidien la dope. Elle veut vivre et le fera pour deux s’il le faut. Quitte à prendre des directions contraires aux vœux de plus en plus estompés de son époux. (…)
Les Chirac reçoivent peu. « Des années après leur emménagement, il reste des cartons non ouverts, à croire que Bernadette se fiche que son époux ait un cadre de vie chaleureux, peste l’un des amis de l’ex-président. Elle qui est toujours sortie, ne s’en préoccupe jamais. Elle le laisse seul avec le maître d’hôtel. C’est généralement un de ses officiers de sécurité qui l’aide à monter jusqu’à l’appartement…» (…) « La vieillesse est un naufrage », se contente-t-elle de soupirer, gaullienne, lorsqu’on l’interroge sur l’état de santé de son mari. « Elle veille à ne pas rester plus d’une nuit loin de son époux, la défend pourtant l’une de ses amies. Elle s’occupe aussi beaucoup de Laurence. Lorsque sa fille a perdu son chat, ce qui l’a bouleversée, Bernadette s’est dès le lendemain rendue dans les Hauts-de-Seine pour lui en acheter un autre. Mais elle ne se plaint jamais… »
(…)
Bernadette et Jacques,Candice Nedelec (Stock): parution en Points Docuemnts en février 2016
Crédits photos : HADJ/HOUNSFIELD/SIPA
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